Chronique marine #3

Salluit! Que de souvenirs... Les pires et les meilleurs!!! Salluit est situé dans une baie très protégée au milieu d'un fjord. On y rentre par une embouchure étroite, entre deux falaises d'une hauteur spectaculaire. L'axe de ce fjord étant nord-sud et étant donné son étroitesse, il n'y a presque jamais de vent... notez le "presque".

À environ 10 milles nautiques de l'entrée, au beau milieu du fjord, s'ouvre sur bâbord (à gauche, je fais mon capitaine bonhomme, juste pour vous impressionner) une baie de sable large et hospitalière. Ici, pour la première fois depuis des semaines, on peut relaxé, tout semble idéal pour un déchargement facile. On entend presque le soupir de tout l'équipage, en commençant par le bonhomme. Et oui, voilà l'origine du fameux capitaine bonhomme: sur tout les bateaux marchands, le capitaine est appelé le "bonhomme" et nos confrères anglophones l'appellent "the old man".

La routine s'installe. Jeter l'ancre, barges et remorqueurs par dessus bord, ouvrir les trous et dodo.

Le lendemain, après mon quart de travail, d'une durée de 6 heures à l'ancre, j'ai pour la première fois la chance d'aller à terre, mon prochain quart n'étant pas avant un autre 6 heures. Je saute sur l'une des barges prêtes à partir et en avant l'aventure.

Et en avant l'aventure!!!!!!!!! Pas vraiment... J'ai fait une belle marche, mes il n'y avait pas grand chose à découvrir. Une végétation rabougrie, des roches à perte de vue, et au haut de la falaise, un vent à écorner les boeufs (lisez beux), et toute la population du village absente, soi à la chasse ou à la pêche. Après 2 heures, j'étais prête à retourner à bord. Mais aucune des barges ne l'étaient... Que faire?

J'ai continué mon exploration sur la plage, et découvert un groupe d'homme se préparant à partir dans un grosse chaloupe à moteur. Ils étaient cinq, le plus vieux ayant une centaine d'année (du moins à mes yeux civilisés!!!!) et le plus jeune moins de 7 ans. Fusils, filets de pêches, conserves et autres provisions s'entassaient dans la chaloupe, mais ils ont accepté de me faire une petite place pour me reconduire au "Mésange", notre navire.

Une fois parti, une drôle de conversation c'est établi. Le vieil inuit était curieux de savoir qui j'étais mais ne parlait que inuktituk. L'échange se faisait donc par l'intermédiaire d'un des hommes d'une quarantaine d'année, dont l'anglais était très bon. Tout y passa, mon âge, 24 ans, mon grade, 3ième officier, mon statut de célibataire sans enfant, et même la solitude que je ressentais quelques fois.

C'est alors que le vieil homme a pausé une main chaleureuse sur ma tête et dit d'une voix très compatissante une phrase incompréhensible. J'attendais la traduction, mais rien ne venait. J'ai demandé à savoir ce qu'il avait dit, et le traducteur après un soupir c'est exécuté. Voici la traduction tel que je m'en souviens:

"Ce n'est pas grave même si tu es vieille et laide, tu sembles être une bonne fille et un jour tu trouveras un homme pour te marier et te faire des enfants." J'en suis resté sans voix. Moi, vieille et laide. Avec mes 24 ans et une si bonne opinion de moi-même.

Le choc des cultures. Dans l'Arctique, il est rare que les filles n'aient pas leur premier enfant vers 16 ans. Je ne sais si c'est encore comme cela, mais ça l'était encore en 84...

On voit sur cette photo une des barges chargée de marchandises hétéroclites. Deux des petits remorqueur y sont amarrés.

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